« Les paroles, que sont-elles ? Une larme en dira plus. »
Quoi de mieux pour inaugurer cet article qu’une citation qui résonne en moi depuis maintenant deux ans ? Cette phrase, d’une simplicité et d’une justesse foudroyantes, provient du superbe essai de Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, au cœur duquel il livre un « éloge des larmes » assez poignant, dont je vous recommande chaleureusement la lecture. Il y explique notamment le pouvoir libérateur et cathartique des larmes, qui permettent d’exprimer la vérité la plus profonde qui soit, celle qui provient des entrailles et qui bouleverse votre être tout entier : « Par mes larmes, je raconte une histoire, je produis un mythe de la douleur, et dès lors je m'en accommode : je puis vivre avec elle, parce que, en pleurant, je me donne un interlocuteur emphatique qui recueille le plus « vrai » des messages, celui de mon corps, non celui de ma langue. »
Assez cliché de commencer une réflexion sur l’hypersensibilité en abordant les larmes, me direz-vous : être hypersensible, c’est tellement plus que vider des boîtes et des boîtes de mouchoirs pour des choses qui ne font qu’effleurer les Autres. Et pourtant, dans mon cas, c’est bel et bien cela qui m’a toute ma vie torturée, qui a rendu perplexe tout mon entourage, moi la première : ma capacité à pleurer pour un rien. Il suffit que quelqu’un hausse la voix, qu’une situation m’embarrasse, que l’on me fasse une critique, qu’une personne touche une corde sensible ou simplement que je sois débordée par les aléas de la vie, pour que des larmes se mettent à envahir mes yeux. J’ai longtemps considéré cela comme une faiblesse, un témoignage criant de mon immaturité émotionnelle (vous savez, ces « mais enfin, t’as aucune raison de pleurer, faut grandir hein ! ») : pendant des années, j’ai caché toutes ces émotions à fleur de peau sous des couches de dédain, d’indifférence, voire d’agressivité. Puisque ma sensibilité dérangeait tant, j’allais donc devenir insensible. Puisque mon expression lacrymale dérangeait tant, j’allais donc devenir silencieuse. Je les ai tellement méprisées, décriées, détestées, ces larmes, si vous saviez.
Mais aujourd’hui, j’ai plutôt envie de les embrasser, de les recueillir dans le creux de mes paumes tremblantes et de leur dire que ça va aller. Dans un temps où la dictature du bonheur nous asservit à être tout le temps positifs, à enfouir nos contrariétés et nos peurs dans un jardin dont personne d’autre que nous n’a la pelle, parce que « voyons, souris un peu, la vie est belle », je suis, chaque jour un peu plus, une militante des larmes. Cessons de stigmatiser les hommes qui pleurent, parce que cela entacherait leur virilité, qui doit bomber le torse et bander les muscles. Cessons de juger les femmes qui sanglotent pour quelque chose que vous estimez parfaitement futile et qui a pourtant tellement de sens pour elles. Cessons de dissimuler nos larmes sous des masques de sourires mensongers. Si vous ressentez le besoin de pleurer, serait-ce au beau milieu d’un repas de famille, d’un entretien d’embauche, d’une dispute amicale, d’un film d’animation ou d’un rendez-vous amoureux, faites-le. Vous avez le droit de ne pas aller bien, de souffrir, de vous exprimer, de le dire à votre façon, de réagir comme vous l’entendez. « Tu surrréagis », « tu en fais trop », « tu prends tout trop à cœur » : toutes ces expressions, que vous avez certainement déjà entendues si vous êtes hypersensible, supposent le dépassement d’une certaine limite. Or, celle-ci est purement arbitraire, fixée aléatoirement par les Autres, selon leurs propres ressentis, leurs propres émotions et leur propre vécu : ne laissez jamais personne fixer vos propres limites. Vous êtes le seul à pouvoir définir l’étendue de votre peine, de votre joie, de votre chagrin, de votre bonheur, de votre existence, de votre sensibilité. Et si elle est infinie, tant mieux... cela fait plus d’espace à étreindre !
Mademoizelle Personne
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